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MUTANTE....

    Les bulles de la cuve passent devant mes yeux, telles de fragiles comètes de gaz. La surface est tellement opaque qu'il m'est difficile de distinguer quoi que ce soit à l'extérieur…. Je sens juste des picotements en provenance de mon abdomen, comme si une nuée d'insectes grouillants pénétrait ma chair. Mon regard s'abaisse vers mon ventre, tentant de percer le liquide épais et verdâtre de la cuve : une nuée d'insectes grouillants et métalliques pénètrent ma chair de leurs mandibules. Je ne me trompais pas… Des lycoses. Des robots qui fouillent mon abdomen pour reconnecter les circuits et éviter toute déperdition d'énergie. Je ne vois plus mes jambes. L'explosion a été violente, elles ont été arrachées par le souffle de la grenade à fission. Il faut dire qu'on a dû employer les grands moyens pour neutraliser cette Antithée….

    Mais nous sommes conçues pour cela…..

     Mon nom est Serenity. Je suis une Machine.

     La mission de mon block, mon équipe, était de nous rendre sur le monde N1730 pour mettre la main sur un monstre, une Antithée, l'un de nos ennemis. Cet univers était une planète recouverte à 95% d'eau : une mer marron chargée de fer et d'éléments chimiques, recrachés par d'imposantes plateformes industrielles offshore. Un de nos informateurs avait signalé la disparition de nombreux ouvriers suite à la découverte d'anciens vestiges lors d'un forage sous-marin. Dante nous avait donc envoyé pour enquêter, pensant qu'il devait " peut-être " s'agir d'une Antithée.

     " Peut-être "… Car rien n'est jamais certain dans ce genre de mission.

     Nous avions téléchargé de nombreuses connaissances sur le monde marin, les techniques de forage et différents savoirs archéologiques. Nous voulions nous faire passer pour des experts en visite " non officielle " sur la plateforme. Comme nos directives nous y obligent, nous devons être discrètes, nous mêler à la population sans faire de vagues. Pour tous, nous n'existons pas.

Les premiers jours furent peu concluants. Le personnel s'avérait coopératif mais nous dûmes descendre à l'aide de scaphandres sophistiqués sur le site du forage, situé à 1500 mètres de profondeur. Me retrouver immergée de la sorte, avec un temps de réaction amoindri par la pression de l'eau, me mettait mal à l'aise. Surtout après avoir entendu un plongeur parler de " requins noirs de plus de 8 mètres ". Se dressant tels d'antiques guerriers, nous découvrîmes six monolithes de pierre couverts d'algues et de mollusques albinos. Alors que les humains descendus en notre compagnie contemplaient ce spectacle, les yeux brillants, toute notre attention était parasitée par la recherche d'indices.

 

    Mais nous ne vîmes rien… Aucune trace, aucun signe, aucun cadavre recouvert de limon. Il nous semblait évident que ces vestiges millénaires n'avaient aucun rapport avec une quelconque Antithée. Comme toutes ses congénères, cette dernière était une " mutation ", un être vivant ayant développé des capacités étranges sans raison apparente. Des capacités prenant rapidement le pas sur son corps et son esprit, la transformant peu à peu en créature susceptible de modifier la réalité autour d'elle. Elle était récente, évidemment, bien plus récente que ces monolithes fuligineux.
Et tout laissait à penser qu'elle se cachait parmi les humains de la plateforme, étant elle-même " humaine " à l'origine.

     La découverte des vestiges au moment des premières disparitions n'était sans doute qu'une coïncidence…. L'histoire nous donna raison.

    Alors qu'aucun ouvrier ne disparaissait plus, les fameux " requins de 8 mètres " semblaient éviter désormais les alentours de la plateforme principale. Elle nous avait sans doute repéré et opté pour des proies moins " dérangeantes "… mais plus volumineuses, ce qui ne laissait rien présager de bon quant à l'évolution de sa mutation. C'est Slyse, un de mes coéquipiers, qui découvrit des traces étranges dans un conduit de ventilation à l'aide d'un capteur thermique : du sang à peine froid. En suivant cette piste, nous parvîmes jusqu'au cœur de la plateforme, dans un "creux" métallique aux parois couvertes de câbles, d'ossements humains, de cartilages rongés et d'un liquide noir particulièrement corrosif.

     Son nid.

     Elle était déjà partie en chasse. Nous n'avions plus qu'à l'attendre…

 

    Elle finit par s'extirper du tuyau de forage. Son visage me disait quelque chose…. Il y a encore récemment, cette jeune fille était une des contremaîtres du chantier… Portée disparue comme cinq autres de ses collègues. Sa mutation s'étant accélérée, elle ne pouvait plus rester parmi ses semblables et s'était donc fait passer pour morte. Elle avait eu tout le temps nécessaire pour construire son nid, le décorant avec les ossements de ceux qu'elle avait dévorés. Son corps dénudé était couvert d'écailles noires et suintantes, profilées pour la nage, tandis que sa mâchoire était devenue imposante et flexible comme celle d'un grand requin blanc.     Sortant de l'ancienne chair de son dos, de multiples tentacules coupants et venimeux virevoltaient, sur leur garde, au-dessus de sa tête. Nous étions incapables de la tuer, nous le savions… Car les Antithées sont immortelles. Il nous fallait juste la neutraliser suffisamment longtemps pour l'emprisonner et la mener dans Dédale.

     Mais elle nous prit par surprise.

     Alors que nous nous lancions dans la bataille, un des tentacules - resté hors de vue dans le conduit- saisit une arme étrange… Une arme sans doute trouvée au centre des 6 monolithes sous-marins. L'effet de surprise fut total. Nos corps furent balayés par un souffle incandescent projeté par cet étrange canon, encore couvert d'algues et de coquilles fossilisées. C'est Slyse, le visage fondu par la décharge, qui décida d'actionner la grenade à fission. Le corps de l'Antithée fut carbonisé sur place tandis que nos châssis furent sérieusement endommagés.
    
     Le cadavre de l'ancienne humaine fut enveloppé du "voile des carabes" et je fus transporté, avec elle, à l'extérieur par mes compagnons. Nous dûmes fuir rapidement pour ne pas attirer l'attention et rejoindre Dédale, notre demeure …. Et la prison de toutes les Antithées.
Sur le bateau, nous pouvions déjà sentir le corps de notre proie commencer à se régénérer….

                                                        ***

    Les bulles de la cuve passent devant mes yeux, telles de fragiles comètes de gaz. La surface est tellement opaque qu'il m'est difficile de distinguer quoi que ce soit à l'extérieur….
     Demain je serais sans doute réparée. Et demain je repartirais ailleurs…. Plus loin….

    Pour les traquer et les emprisonner. Car sans nous, il n'y a plus d'espoir….

 
Texte et dessins : Willy Favre